DISSERTATION suffit-il d'être certain pour être dans le vrai?

       
        « Verum index sui ». Le vrai est à lui-même sa propre évidence affirme Spinoza. En d'autres termes, lorsque nous sommes dans le vrai nous le savons avec clarté et distinction de manière certaine. Pourtant, de nombreuses certitudes s'avèrent au bout du compte illusoires. L'absence de lien nécessaire entre ces deux concepts vient de leur différence de nature. En effet, le vrai désigne un jugement conforme à la réalité, être dans le vrai c'est par conséquent formuler un jugement objectif, c'est à dire conforme à son objet. Pour parvenir à cette fin nous devons établir un dialogue entre la raison et l'expérience. La quête de la vérité présuppose l'usage de la raison. A contrario, être certain c'est croire savoir; par conséquent la certitude est éminemment subjective. Cette différence de nature légitime l'interrogation des liens existants entre vérité et certitude. Suffit-il d'être certain pour être dans le vrai? La certitude est-elle une condition nécessaire de la vérité ou bien constitue t-elle au contraire un obstacle? S'il est évident que la certitude ne mène pas nécessairement à la vérité, il n'empêche qu'elle n'est pas non plus toujours synonyme de fausseté. Pourtant, nous verrons que l'absence de certitude est peut-être un chemin plus sûr dans la quête de la vérité.

       
         La contingence du lien entre vérité et certitude est une évidence vérifiable dans de nombreux domaines. Lorsque Pasteur, par exemple, remets en question la théorie de la génération spontanée lors d'un débat à l'académie de science avec le médecin Pouchet, il met fin de manière définitive à une certitude ancrée dans l'esprit des scientifiques depuis au moins l'antiquité avec Aristote jusqu'au 19 siècle avec des hommes célèbres comme Buffon ou Lamarck. Cette théorie affirmait que les petits animaux comme les mites, les vers ou même les rats, surgissaient de la matière inanimée. Si aujourd'hui cette conception semble absurde, c'est parce que Pasteur a contribué à son discrédit en mettant en évidence le mode de génération et de multiplication des être vivants de petites tailles. La vie ne peut venir que de la vie, telle est la découverte fondamentale de Pasteur. L'histoire des sciences ou même la simple vie quotidienne nous offrent de nombreux exemples montrant que la certitude ne mène pas nécessairement à la vérité. Comment expliquer ce fait? Pourquoi la certitude ne mène pas toujours à la vérité?
         L'absence de lien nécessaire entre ces deux concepts vient de leur différence de nature. La quête de la vérité présuppose l'usage de la raison. A contrario, on peut remarquer que le sentiment d'avoir raison a souvent des causes irrationnelles.Le phénomène du conformisme, par exemple, montre que l'on peut adhérer à un jugement allant à l'encontre de notre raison à cause du nombre d'individus soutenant celui-ci. Le psychologue Solomon Asch met en évidence ce fait par une expérience. Il réunit un groupe de dix personnes composé de neuf acteurs et d'une victime. Ils doivent sélectionner parmi trois segments celui qui correspond au segment témoin. La réponse est évidente et, dans la solitude, personne ne pourrait se tromper. Pourtant, Solomon Asch montre que si tous les acteurs choisissent une mauvaise réponse, on observe statistiquement que 37% des individus testés adhèrent à la réponse fausse du groupe. La tendance à associer la vérité et l'unanimité s'explique par la peur de se tromper et d'être rejeté du groupe. L'intérêt de cette expérience c'est donc de démontrer que la certitude à des causes irrationnelles nous éloignant de la vérité objective.
         On peut souligner que le nombre n'est pas la seule cause irrationnelle de la certitude. Elle peut venir également de l'autorité que l'on accorde à celui qui énonce un jugement. Or, si l'autorité est souvent un gage de vérité, il n'empêche qu'elle n'y mène pas nécessairement. C'est ce que montre Stanley Milgram dans ses expériences sur la soumission des individus à une autorité scientifique. Sous prétexte d'étudier le rôle du châtiment dans le processus d'apprentissage, il fait venir deux étudiants devant jouer respectivement les rôles de professeur et d'élève. L'élève doit apprendre une liste de mots et répondre convenablement aux questions du professeur. Celui-ci est chargé de poser des questions et d'infliger des décharges électriques croissantes (de 15V à 450V) en cas d'erreur. La répartition des rôles se fait par tirage au sort, cependant le tirage est truqué puisque l'étudiant jouant le rôle de l'élève sera toujours un acteur et le cobaye qu'on étudie réellement est celui qui inflige les châtiments. La question que Milgram essaye de résoudre est la suivante: jusqu'où sommes-nous prêt à aller sous couvert d'une autorité qu'on juge légitime? Il constate ,suite à des milliers de tests expérimentaux, que plus de 50% des individus testés infligent des décharges mortelles, même s'ils voient la souffrance d'autrui (jouée par l'acteur) et même si l'expérience heurte leur conscience morale. Nous adhérons par conséquent à un jugement et nous agissons conformément à celui-ci en raison de l'autorité que nous reconnaissons à une personne. Encore une fois, nos certitudes sont dépourvues de rationalité.
         Outre le nombre et l'autorité, nous pouvons dénombrer une troisième cause irrationnelle de certitude: les sentiments. Lorsque nous sommes amoureux ou angoissé, nous avons des certitudes résistantes au plus rigoureux des raisonnements. L'attachement à un jugement ne vient pas alors de notre raison mais de notre coeur. Telle est la thèse de Hume dans Le traité de la nature humaine. Il montre que si nos croyances favorisent nos sentiments, la réciproque est également vraie puisque nos sentiments, encouragés par notre imagination, nous inclinent vers certaines certitudes. La cristallisation chez Stendhal illustre parfaitement l'illusion amoureuse. Dans De l'amour , il fait une analogie entre l'amour et le processus physique de cristallisation afin d'illustrer le caractère illusoire de la passion. L'amour transfigure et idéalise l'être aimé et nous empêche d'être objectif. Nous adhérons par conséquent à beaucoup de fausses croyances. Combien de fois avons-nous eu l'impression de trouver l'amour de notre vie alors qu'il n'en était rien? Aussi est-il permis de se méfier de nos certitudes qui fondent rapidement comme la neige en plein soleil.
         En définitive, nous pouvons citer de nombreux exemples montrant que la certitude ne mène pas nécessairement au vrai et nous pouvons expliquer cette contingence entre certitude et vérité par leur différence de nature. Si la certitude a souvent des causes irrationnelles comme le nombre, l'autorité ou les sentiments, en revanche la vérité n'est accessible que par l'exercice de notre raison. Mais cela veut-il dire pour autant qu'une certitude est toujours dénuée de vérité? A quelles conditions une certitude peut-elle être vraie?

         Certes la certitude ne peut fonder la vérité, cependant la vérité permet de fonder la certitude. Si nous prenons l'exemple des identités remarquables en mathématiques, nous voyons bien qu'une certitude peut être justifiée par la démonstration ou l'efficacité d'une formule. Soit (a + b)² = a² +2ab + b². Nous pouvons démontrer cette identité remarquable par le développement suivant: (a + b)² = (a + b) (a + b) = a² + ab + ba + b² = a² +2ab + b² ou on peut aussi vérifier la validité de la formule en remplaçant a et b par des valeurs quelconques et observer que l'identité remarquable est toujours vérifiée. Par conséquent, une certitude est légitime lorsqu'elle est démontrée ou vérifiée. Faut-il alors conclure qu'il n'y a de certitude qu'en mathématique? La vérité n'est-elle pas également possible par l'approche expérimentale de la réalité?
         Les sciences physiques ou la chimie ne se contentent pas de donner des explications rationnelles des phénomènes naturels, elles essayent de vérifier leurs hypothèses par des expériences. Au 19ème siècle, l'astronome français Le Verrier constate un fait problématique: l'orbite théorique d'Uranus ne correspond pas à son orbite réelle. Or, on connaissait la masse et la distance des planètes voisines Saturne et Jupiter et avec les équations de Newton sur la gravitation on aurait pu déduire, comme pour les autres planètes du système solaire, sa trajectoire. Pour résoudre ce fait problématique sans remettre en question la théorie de Newton, Le Verrier formule l'hypothèse suivante: peut-être y a t-il une planète encore inconnue exerçant une force d'attraction sur la planète Uranus. Il calcule la masse et la distance de cette planète théorique (qu'il appelle Neptune) afin d'expliquer l'orbite perturbé d'Uranus. Il transmet ensuite ces données théoriques à l'astronome Gall qui découvre effectivement la planète Neptune. Elle est donc une planète théorique avant d'être une planète réelle. Elle ne deviendra réelle que par l'expérience. Cette référence montre bien qu'une certitude peut être justifiée lorsqu'une thèse rationnelle est confirmée par une expérience scientifique. La certitude n'est-elle alors justifiée que par la science?
         La certitude en science se fonde sur des démonstrations et des preuves expérimentales. Elle n'est pas immédiate mais construite par la raison. Or nous pouvons aussi accéder de manière immédiate à des certitudes en partant des données de notre conscience. L'étymologie latine de la conscience, cum scientia (accompagné de savoir), révèle que la conscience est le savoir accompagnant nos pensées et nos actions. Avoir conscience de percevoir, ce n'est pas simplement percevoir, mais c'est aussi savoir que l'on perçoit. On peut affirmer que le somnambule perçoit les objets qui l'entoure puisqu'il est capable de les éviter, cependant il ne sait pas qu'il perçoit, il est dépourvu de conscience. La conscience est donc la plus grande des certitudes. Tel est l'enseignement du cogito cartésien dans Les méditations métaphysiques. Descartes affirme que nous pouvons douter de l'existence du monde, d'autrui et de notre corps, mais on ne peut douter du fait que l'on doute. On peut douter de l'existence de l'objet de nos sensations, mais on ne peut remettre en question la conscience de cette sensation. Par exemple, dire qu'un bâton plongé dans l'eau est brisé est une erreur puisqu'il s'agit d'une illusion d'optique. Cependant, l'affirmation: « je vois un bâton brisé » est indubitable. Par conséquent, l'expérience subjective dont nous avons conscience est la plus grande des certitudes et montre qu'il existe des vérités indépendamment de la science.
         Ainsi, nos certitudes ne sont pas nécessairement illusoires car elles peuvent être justifiées par des démonstrations et des preuves expérimentales de manière objective ou être assurées par le témoignage subjectif de notre conscience. Il est alors possible de relier les concepts de certitude et de vérité, ils ne sont pas contradictoires. Pourtant, on peut tout de même remarquer que l'absence de certitude est une voie plus sûre pour accéder à la vérité. En quel sens l'absence de certitude mène t-elle à la vérité?

         La découverte de la vérité ne se fait pas par hasard, mais elle est résulte de nos recherches et de nos efforts. C’est la raison pour laquelle l’incertitude est nécessaire pour cette quête. En effet, lorsque nous sommes certains, nous croyons savoir, et cette croyance nous empêche de rechercher la connaissance. Tant que cette certitude est fondée, il n’y a pas de problème, mais malheureusement nos certitudes, comme nous l’avons vu, ne mènent pas nécessairement à la vérité. Aussi les certitudes sont dangereuses puisqu’elles suppriment la volonté de connaître. A contrario, l’incertitude peut être à l’origine de la volonté de connaissance. C’est la raison pour laquelle Socrate répétait toujours que « la seule chose que je sais c’est que je ne sais rien ». Il ne s’agissait pas de la confession d’une ignorance stérile, mais de la condition même de la quête de la vérité. De fait, c’est la conscience de l’ignorance qui rend possible la recherche de la sagesse. Il faut mettre en parallèle l’adage socratique avec l’étymologie du mot philosophie : philo-sophia, c'est-à-dire l’amour de la sagesse. Le philosophe ne se prétend pas sage, il a conscience de son ignorance et désire la sagesse parce qu’il a conscience d’en manquer. Comme le dit Platon dans le Banquet, seuls les sages et les ignorants ne philosophent pas ; car les premiers possèdent la sagesse et les autres croient la posséder. Par conséquent, comme nul ne peut prétendre être omniscient, il serait plus raisonnable de relativiser nos certitudes afin de se rapprocher de la vérité.
         Non seulement l’incertitude peut nous donner la volonté de rechercher la vérité puisque la conscience de notre ignorance nous donne envie d’être dans le vrai, mais elle peut aussi permettre d’éprouver nos connaissances. Telle est la finalité du doute cartésien dans Les méditations métaphysique. En raison de la déception relative aux connaissances peu assurées de son époque, Descartes décide de tout remettre en question afin de reconstruire un savoir sûr et certain. Contrairement aux philosophes sceptiques, le doute cartésien est provisoire ; il n’est qu’un moyen de découvrir la vérité. En effet, s’il y a quelque chose capable de résister à un doute absolu, alors cette chose sera sûre et certaine. Le témoignage des sens n’est pas fiable puisqu’ils nous ont déjà trompé, on ne peut alors fonder la connaissance sur eux. Il rejette également les vérités mathématiques en forgeant l’hypothèse du malin génie, c'est-à-dire une puissance maléfique qui nous tromperait toujours. Evidemment, Descartes ne croit pas en son existence, il s’agit juste d’une hypothèse de travail visant à découvrir une vérité indubitable. Par cette hypothèse, nous pouvons tout remettre en question, même les vérités mathématiques. La seule chose qui résisterait au malin génie serait la certitude de notre existence et le fait que l’on pense : « cogito ergo sum ». Telle est la première vérité découverte par Descartes. L’intérêt de cette référence c’est de montrer que le doute est une méthode permettant de découvrir la vérité en éprouvant nos connaissances et en remettant en question nos certitudes.
         La croyance cartésienne en la possibilité de parvenir à une vérité absolue n’est plus aujourd’hui suivie par la communauté scientifique. En effet, les différentes désillusions dans l’histoire des sciences engagent le scientifique à davantage d’humilité. Peut-être que la vérité absolue subsiste en tant qu’idéal régulateur, mais cet idéal n’est pas accessible puisque les vérités scientifiques sont relatives et provisoires. Cela ne signifie pas non plus qu’elles soient complètement fausses. Les équations de Newton expliquent bien l’orbite de quelques planètes. Cependant, cette théorie n’est pas universelle et n’explique pas tous les phénomènes célestes. Lorsque Einstein développe la théorie de la relativité, il montre que la théorie newtonienne n’est qu’un cas particulier de la théorie plus générale de la relativité. De la même manière, la théorie d’Einstein n’explique pas tout et elle est donc susceptible d’être remise en question. Loin d’être une limite, la réfutation des théories scientifiques semble plutôt être la condition du progrès scientifique. Comme le montre Karl Popper dans La logique de la découverte scientifique, le propre d’une théorie scientifique c’est d’être réfutable, falsifiable par l’expérience. Par conséquent, une théorie irréfutable n’est pas une théorie scientifique. Il cite notamment le cas de l’astrologie qui est capable de tout expliquer sans jamais remettre en question ses présupposés. Ainsi, le doute et la réfutation des théories sont les conditions du progrès scientifique. Par conséquent, le manque de certitude est préférable à l’excès de certitude pour parvenir à se rapprocher de la vérité.


         En définitive, la certitude n’est ni une condition suffisante ni une condition nécessaire de la vérité. Elle est au contraire un obstacle puisqu’elle nous enlève la volonté de la rechercher en nous donnant l’illusion de savoir. De fait, bien souvent la science progresse en remettant en question ses modèles d’explication lorsque ces derniers sont contredits par l’expérience. C’est la raison pour laquelle l’absence de certitude est meilleure conseillère que l’excès de certitude. Pourtant, on pourrait nuancer ce jugement en admettant que le scientifique doit avoir au moins deux certitudes : tout d’abord, il doit être certain de l’intérêt de son hypothèse, sinon il ne perdra pas son temps à explorer une voie sans issue et enfin il doit être certain que l’univers est rationnel car, dans le cas contraire, à quoi bon faire de la science. Comme le montre Einstein dans : « sans la croyance qu’il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l’harmonie interne de notre monde, il ne pourrait y avoir de science. ». Autrement dit, la quête de la vérité présuppose la foi en son existence.
L’évolution des idées en physique

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